En France, 18 % de la population n’a pas accès à l’ensemble des contenus numériques. 12 millions de personnes en situation de handicap sont confrontées quotidiennement à des problématiques de …
En France, 18 % de la population n’a pas accès à l’ensemble des contenus numériques. 12 millions de personnes en situation de handicap sont confrontées quotidiennement à des problématiques de navigation sur le web, même sur les services publics, aujourd’hui largement numérisés. L’inclusion numérique au même titre que la mise en conformité des espaces publics et privés, représente pourtant un réel enjeu pour les entreprises.
Qu’est-ce que l’accessibilité numérique ?
« L’accessibilité numérique est un droit humain fondamental défini par l’article 9 des Nations Unis » débute immédiatement Marion Ranvier, directrice exécutive de la Contentsquare Foundation, lors d’une interview accordée à Siècle Digital. Donner l’accès au web pour tous n’est pas seulement une question de normes techniques, c’est avant tout un droit. Aujourd’hui, plus de 70 % du contenu digital et 80 % des sites d’actualité ne sont pas accessibles aux personnes en situation de handicap. « Autrement dit, ils ne respectent pas les lois et normes en vigueur » ajoute-t-elle.
« Il y a plus de 30 ans, le web avait été créé pour être un espace universel et donner l’accès à l’information à tous, sauf qu’aujourd’hui il y a énormément de barrières d’accès pour le milliard de personnes en situation de handicap dans le monde ». La première catégorie touchée concerne le handicap moteur, caractérisé par une capacité limitée à se déplacer, à réaliser des gestes ou à bouger certains membres. Puis le handicap sensoriel ou visible, avec la déficience visuelle ou le handicap auditif.
Bien que des assistances et outils d’aide à la navigation tel que la synthèse vocale sont mis en place, ils sont très vite limités par différentes fonctionnalités du web. Selon le guide d’accessibilité édité par Contentsquare, 71 % des utilisateurs avec des besoins spécifiques quittent un site web qu’ils jugent difficile d’utilisation. Une situation déroutante au vu de la numérisation presque inévitable de tous les services. « Pouvoir prendre un rendez-vous de santé, faire sa déclaration d’impôts, gérer son compte bancaire, rechercher un emploi, fait partie des services essentiels auxquels tout le monde devrait avoir accès facilement », déplore la directrice de la fondation. Et pourtant. Depuis le 23 septembre 2020, en France, tous les sites internet, extranet des collectivités et organismes publics devraient être accessibles aux personnes handicapées. Dans les faits, ce n’est pas vraiment le cas.
Les mesures actuelles ne suffisent pas
L’État français a promulgué le 7 mars 2023 une loi transposant plusieurs directives européennes impactant l’accessibilité numérique pour les biens et services. En France, c’est la direction interministérielle du numérique (DINUM) qui édite régulièrement le référentiel d’accessibilité (RGAA). Celui-ci détermine les normes d’accessibilité et les 106 critères de mise en conformité en référence aux techniques d’implémentation d’un site (HTML, CSS, JavaScript) devant être respectés par les organismes publics, et privés réalisant plus de 250 millions de chiffre d’affaires.
Pour connaître leur niveau d’accessibilité et pouvoir fournir aux utilisateurs une déclaration d’accessibilité en bas de page, les organismes doivent premièrement réaliser un audit. L’outil d’audit en ligne Ara, mis en place par le gouvernement, analyse les images, les cadres, les couleurs, la navigation, les scripts… sur les sites internet, intranet, extranet, applications mobiles et même le mobilier urbain numérique.
Pour déclarer « une conformité totale », la plateforme numérique doit respecter un ensemble de règles dont, premièrement, répondre à 100 % des critères du RGAA. A contrario, ce sera une conformité « partielle » qui sera appliquée ou une « non-conformité ».
En cas d’absence de cette déclaration, les entreprises risquent 20 000 € d’amende lorsque leur chiffre d’affaires est supérieur ou égal à 250 millions d’euros en France, et 2 000 € pour le secteur public. Des sanctions encore trop peu appliquées aux yeux de Marion Ranvier.
Rendre le web de demain accessible et inclusif
Pour un pays qui se veut à la pointe de la technologie, l’enjeu de l’accessibilité numérique est incontournable. Lors de la sixième conférence nationale du handicap en avril dernier, le gouvernement a annoncé un “plan de rattrapage massif” sur l’accessibilité numérique. Côté public, avec des systèmes complexes, parfois très anciens et difficilement optimisables, l’État a pris du retard sur ses objectifs. Cependant, 40 % des démarches en ligne respectent au moins 75 % des règles d’accessibilité, contre 12 % en 2020. Désormais, l’objectif annoncé est d’atteindre les 100 % de démarches accessibles, remplissant 100 % des critères.
Côté privé, tous les sites et plateformes e-commerce devront être accessibles. D’ici 2025 pour les nouveaux services et 2030 pour les services existants. Ils seront contrôlés principalement par la DGCCRF et l’ARCOM. Les services bancaires et financiers, les livres numériques et les médias audiovisuels sont particulièrement concernés par cette directive européenne. « Aujourd’hui, il y a des obligations légales mais pas d’organe de contrôle. Avec cette annonce, l’ARCOM va pouvoir auditer des sites et devenir un organe de contrôle. Une annonce majeure pour faire bouger les marques et les entreprises à se mettre en conformité » espère Marion Ranvier.
Désormais, toute mise en ligne d’un nouveau service doit être approuvée par le Service d’information du gouvernement. Il devra répondre à 75 % des critères du RGAA et s’engager à respecter les 100 % dans les 6 mois. Par ailleurs, un Lab de recherche utilisateur va être lancé permettant de réaliser des tests utilisateurs et d’utilisabilité avec les publics concernés pour optimiser la navigation.
L’accessibilité c’est aussi des enjeux économiques pour les entreprises
Au-delà de conserver un cadre éthique, les entreprises ont de vrais enjeux business à rendre leur contenu numérique accessible à tous. D’une part pour l’image de marque. « La tendance est venue des États-Unis. On parle de plus en plus d’inclusion et de diversité. Avec la médiatisation, les marques ont peur du bad-buzz tel que l’a connu Domino’s Pizza lors d’un procès avec un non-voyant en 2019 » argumente Marion Ranvier.
Selon le guide d’accessibilité, à produit identique, 82 % des utilisateurs sont prêts à payer plus cher en l’achetant sur un site plus accessible. Donner l’accessibilité de ses plateformes à tous, c’est s’ouvrir à une nouvelle clientèle. L’expérience et la fidélité client seront améliorées. Par ailleurs, un site web conforme aux normes d’accessibilité sera mieux référencé sur Google et verra son trafic organique augmenter. Si le client trouve et utilise facilement un site, il sera enclin à y rester plus longtemps et à y revenir plus fréquemment.
Évidemment, la mise en conformité demande quelques efforts en termes de ressources humaines et financières. Selon la spécialiste de l’accessibilité numérique, il est recommandé de passer par un audit et l’ajustement des erreurs techniques par des développeurs pour corriger la structure du site. « Cela implique de pouvoir s’appuyer sur des équipes formées à ces enjeux » rappellent les spécialistes signataires d’une tribune dans Le Monde, dont Marion Ranvier qui mise sur des masterclass pour les étudiants à travers la fondation. « Pour concrétiser cette opportunité, il est temps d’intégrer systématiquement des cours dédiés à l’accessibilité numérique dans les formations aux métiers du digital », un projet qui répond aux ambitions de l’État de former 400 000 experts du numérique d’ici à 2030.
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