L’article 7 du projet de loi relatif aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 a été adopté par l’Assemblée nationale le 23 mars. Ce dernier inscrit la vidéosurveillance algorithmique dans la loi pour renforcer, à titre expérimental, la sécurité de l’événement. Alors que cette technologie est décriée par les associations de défense des libertés, les entreprises vendant de tels services assurent de son utilité dans bien d’autres domaines, loin de la biométrie et de la reconnaissance faciale. La start-up française XXII, spécialisée dans l’édition de logiciels en vision par ordinateur en fait partie. Le 21 mars, cette dernière annonçait une levée de fonds de 22 millions d’euros.
Une solution de vision par ordinateur sécuritaire, mais pas que
L’aspect sécuritaire, « c’est un point d’entrée, parce que c’est là où se trouve le matériel » concède William Eldin, président-directeur général et cofondateur de XXI, à Siècle Digital. Avant d’insister sur les autres possibilités offertes par la vision par ordinateur, « lorsque les entreprises se rendent compte qu’on apporte aussi de l’excellence opérationnelle, elles comprennent que la valeur est sur plein d’autres cas d’usages », fait-il remarquer.
XXII propose une solution d’analyse de flux vidéo en temps réel à travers une plateforme SaaS qui embarque de l’algorithmie, la rangeant dans le domaine de l’intelligence artificielle. Son logiciel se connecte au système de gestion de contenu vidéo des caméras de ses clients. Parmi ses principaux clients se trouvent de grandes enseignes de fast-food. « Nous les aidons à réaliser leurs commandes, savoir quelles tables doivent être débarrassées ou encore quelles poubelles débordent », indique William Eldin, « nous nous mettons à la place du cerveau du manager pour l’aider à ne pas se tromper ». L’entreprise intervient également dans le secteur de la logistique afin d’assurer le suivi de colis de valeur ou le contrôle de commandes.
William Eldin explique que l’idée de XXII, fondée en 2015, lui est venue en 2011, grâce à la découverte de la vision par ordinateur de Mobileye. « Nous, les humains, nous ne possédions pas une intelligence qui croît aussi vite que la quantité d’informations qui évolue dans le monde », glisse-t-il, « je me suis dit qu’il va falloir répondre à un problème important : il n’existe aucune solution pour aider l’être humain à voir plus de choses, plus rapidement ». Dès lors, la vision par ordinateur se présente comme la solution idéale pour répondre à ce défi, « elle va ouvrir des secteurs de l’économie qui vont pouvoir intégrer cette technologie pour produire mieux, produire plus, et ne pas envoyer leurs employés en surcharge cognitive ».
Une technologie controversée
Pour rassurer ses clients inquiets, XXII joue la transparence sur le fonctionnement de ses solutions. « Nous leur expliquons comment nos intelligences artificielles sont créées, comment nos jeux de données sont fabriqués et que les flux vidéos sont anonymisés en temps réel ». William Eldin mentionne aussi la présentation de leur comité éthique et de leur vision de cette technologie.
Les questions éthiques que soulève la vision par ordinateur ont été au centre du débat à l’Assemblée nationale, lors du vote pour l’article 7 du projet de loi relatif aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. De nombreuses organisations internationales et députés affirmaient qu’elle représentait une violation des droits fondamentaux.
Noémie Levain, chargée d’analyses juridiques et politiques pour La Quadrature du Net, une association de défense et de promotion des droits et libertés sur Internet, rapportait à Siècle Digital, que cette technologie « reste très opaque » évoquant « un algorithme pouvant potentiellement repérer la couleur de peau, d’un vêtement, la taille ou le genre ». Le dirigeant de la start-up française garantit « être loin de vouloir tout ce qui est biométrie et reconnaissance faciale, nous voulons savoir ce qui se passe derrière cette technologie ». Pour lui, il est important de « faire tomber les fantasmes ».
Si l’adoption de l’article 7 est « déceptive, car elle porte uniquement sur l’aspect sécuritaire et concerne uniquement les Jeux Olympiques, elle permettra de passer à la prochaine étape ». William Eldin soutient qu’« au même titre que nous avons découvert cette technologie et ce marché, c’est au tour de notre gouvernement de la découvrir et de pouvoir digérer l’information ».
22 millions d’euros levés
Après avoir rassemblé 1,5 million d’euros en 2020, XXII a remis le couvert. Soutenu par le Fonds Innovation Défense, géré par Bpifrance ; par 574 Invest, le fonds d’investissement du groupe SNCF ; par CIB Développement, appartenant au groupe Colas ; par Techmind ; par Kima Ventures ; par le Groupe Duval et par d’autres business angels, la start-up a levé 22 millions d’euros. De quoi maintenir son « ambition de devenir le leader mondial de la vision par ordinateur ». Cette somme devrait lui permettre de répondre à un objectif fixé dans les 24 prochains mois : atteindre les 10 millions d’euros de chiffre d’affaires.
William Eldin précise que l’argent épaulera un besoin technologique et commercial. « Nous souhaitons premièrement recruter des docteurs, des ingénieurs, des développeurs et des commerciaux pour continuer à être les leaders du marché techniquement, mais aussi faire évoluer la plateforme », détaille-t-il. Dans un second temps, XXI a la volonté « d’accélérer ses affaires et d’ouvrir aux États-Unis et pourquoi pas ailleurs ».
Des marchés plus ou moins ouverts
Bien que naissant, la vision par ordinateur est pour William Eldin l’« un des plus gros marchés aujourd’hui, et tout le monde est en train de le découvrir ». Celui-ci est extrêmement prometteur aux États-Unis, alors qu’il rencontre quelques difficultés à se développer en France et en Europe. Toutefois, il souligne que le marché « est complètement fermé pour nous en Asie-Pacifique ». La domination des entreprises chinoises y est trop forte. Elles sont déjà très évoluées en matière d’intelligence artificielle et surveillance vidéo.
Selon lui, la réticence du marché français et européen vient d’une mauvaise compréhension de cette technologie. « La loi n’est pas encore sèche et la mauvaise image de la technologie à cause de la biométrie et de la reconnaissance faciale freine énormément son adoption, même dans les autres secteurs que la sécurité », poursuit-il. Élisa Martin, députée LFI-NUPES, opposée à l’article 7 du projet de loi Jeux Olympiques, estimait que « les industriels du secteur privé représentaient 1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2020 rien qu’en France ».
Pour le futur de XXII, William Eldin rêve d’une licorne (entreprise valorisée à plus d’un milliard de dollars) comptant entre 500 et 800 employés avec une antenne aux États-Unis et en Europe d’ici 3 à 5 ans. En attendant, ses prochains projets se tournent vers la data de synthèse. « Je pense qu’il est possible d’entraîner des réseaux de neurones avec de la 3D et non uniquement avec des données réelles », s’enthousiasme-t-il, « cela devrait permettre de rassurer davantage sur cette technologie ».
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