Preuve de supraconductivité à température ambiante dans un hydrure de lutécium enrichi en azote. Ce titre d’étude, abscons pour le commun des mortels, a secoué la communauté scientifique lors de …
Preuve de supraconductivité à température ambiante dans un hydrure de lutécium enrichi en azote. Ce titre d’étude, abscons pour le commun des mortels, a secoué la communauté scientifique lors de sa publication dans la revue Nature le 8 mars dernier. Signée par Ranga Dias, physicien à l’Université de Rochester, dans l’État de New-York, elle annonce la découverte d’un matériau capable d’avoir des propriétés supraconductrices à température ambiante.
Si cet article a fait tant de bruit lors de sa parution, c’est d’abord parce que cette découverte serait révolutionnaire pour de nombreux pans de l’industrie, allant de l’électricité à l’informatique, en passant par la médecine… C’est aussi parce que la communauté scientifique reste assez sceptique sur ce sujet.
Petites polémiques et gros enjeux
Comme le relate un article paru dans Science, le groupe à l’origine de l’étude est extrêmement controversé. Le même Ranga Dias avait déjà publié une étude sur le même sujet en 2020, elle avait fini par être retirée deux ans plus tard. D’autres scientifiques affirmaient qu’ils n’arrivaient pas à répliquer les résultats, et que les données étaient trop vagues.
Désormais, ces chercheurs controversés ont une nouvelle publication, mais ne souhaitent pas partager leurs données brutes, ni le matériau qu’ils ont utilisé, ce qui irrite leurs confrères désireux de vouloir vérifier eux-mêmes l’expérience.
« Il y a des enjeux énormes autour des matériaux supraconducteurs, » assure Marie-Aude Méasson, chercheuse à l’Institut Néel, à Grenoble. « On s’en sert dans les IRM, mais aussi pour créer des champs magnétiques dans la recherche autour de la fusion nucléaire, ou tout simplement pour conduire l’électricité. » La propriété la plus utile des matériaux supraconducteurs est l’absence de résistance électrique : ainsi, le courant peut circuler en grande quantité sans aucune perte.
Si ces matériaux sont massivement utilisés dans tous ces domaines, ils sont aussi difficiles à produire. « Il y a deux variantes principales, » résume Marie-Aude Méasson. « Il faut soit baisser la température à des niveaux proches du zéro absolu, autour des -250 degrés C°. Ou alors, faire augmenter la pression. »
Ce dilemme est vite résolu pour la plupart des industries : manipuler une pression élevée est dangereux et compliqué, alors qu’obtenir une température très basse est beaucoup plus simple, même s’il faut une infrastructure particulière. En revanche, l’étude parue dans Nature prétend qu’il est possible d’obtenir ces matériaux sans ces contraintes, avec une pression et une température ordinaires.
Des besoins croissants
En attendant cette révolution, les entreprises ont choisi le froid. Les français de Nexans, qui produisent des câbles électriques supraconducteurs, font passer leurs produits sous la barre des 200 degrés C°. « Nous avons un câble de 15 centimètres de diamètre enroulé par une gaine d’azote pour le refroidir, » détaille Jérôme Fournier, directeur de l’innovation chez Nexans. « Un tel câble est capable de faire passer jusqu’à 3 gigawatts de courant, c’est beaucoup de puissance pour très peu de place. »
S’ils ne mènent pas de recherches en interne, les responsables de Nexans suivent ce qui se passe dans le monde de la science, : « Il y a toujours des tentatives de faire augmenter cette température pour avoir des matériaux plus facilement. Mais ça avance peu. Si cette étude se révèle vraie, ce serait un grand pas en avant, même si nous sommes encore loin de l’industrialisation. »
Pourquoi un tel pessimisme ? Parce que le produit miracle présenté par l’étude de Nature n’est autre que du lutécium, un des matériaux les plus rares et les plus chers présents sur Terre ! Ce métal pourrait être, sous certaines conditions, supraconducteur à température et à pression ambiantes, mais même si la méthode arrivait à être reproduite, il faudrait encore de nombreuses années avant de pouvoir avoir une utilisation de ces supraconducteurs dans le monde de l’entreprise. « Beaucoup y croient, » avance Jérôme Fournier. « Nous voyons de plus en plus d’investisseurs se lancer dans ce domaine car il y a un espoir d’y parvenir, mais aussi une conscience que la supraconductivité sera de plus en plus essentielle dans un monde qui repose chaque jour un peu plus sur l’électricité. »
Un discours enthousiaste compréhensible : Nexans a pour vocation “d’électrifier le monde” en créant des lignes d’alimentation performantes entre plusieurs localités. En 20 ans, l’entreprise a vu les besoins croissants en électricité, la volonté de produire de l’énergie décarbonée, et les menaces qui pèsent sur les câbles traditionnels en cuivre souffrant d’une pénurie à venir. « Nous avons souvent vu des progrès sur le plan académique, » assure Jérôme Fournier, « mais cela reste marginal et la recherche avance peu. »
Une étude comme celle de Ranga Dias pourrait changer la donne, mais au vu des incertitudes qui l’entourent, la situation reste bloquée : « Si c’est faux, il faudra quelques années pour s’en assurer, » considère Marie-Aude Méasson. « C’est long et laborieux, mais il faut le faire car c’est une obligation éthique. C’est de là que naît la confiance entre le grand public et les scientifiques. »
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