Mardi 26 septembre, la Federal Trade Commission (FTC) a inculpé Amazon pour abus de position dominante. L’entreprise est accusée d’exercer un monopole écrasant sur sa place de marché en ligne. …
Mardi 26 septembre, la Federal Trade Commission (FTC) a inculpé Amazon pour abus de position dominante. L’entreprise est accusée d’exercer un monopole écrasant sur sa place de marché en ligne. Des pratiques qui dégradent la qualité du service pour les consommateurs et surfacturent les vendeurs tiers, dénonce l’autorité antitrust américaine.
L’aboutissement de quatre ans d’enquête
Les équipes de la FTC ont commencé à enquêter sur les activités d’Amazon à l’été 2019, alors que de plus en plus de critiques ciblaient les pratiques commerciales de l’entreprise. L’exploitation des données des vendeurs tiers à son profit était déjà au cœur des préoccupations des régulateurs. Lors d’une audience antitrust devant le Congrès en 2020, Jeff Bezos, alors PDG de la société, niait tout comportement monopolistique.
La nomination de Lina Khan, fervente opposante aux pratiques d’Amazon, à la tête de la FTC en 2021 a marqué un changement de ton. La nouvelle administration démocrate s’est montrée plus offensive. L’agence a poursuivi ses investigations et a même accéléré la cadence début 2023. L’audition de hauts cadres de l’entreprise organisée en août ne laissait plus de place aux doutes, cette étape constituant l’un des derniers paliers avant des poursuites judiciaires officielles.
Dans un document de 172 pages, la FTC conclut son enquête par une inculpation, la plus importante qu’Amazon ait eue à affronter. Accompagnée de 17 États, presque tous sous gouvernance démocrate, l’autorité décrit des pratiques visant à maintenir les prix « à un niveau artificiellement élevé », et à empêcher les commerçants d’opérer chez la concurrence.
« Une seule entreprise, Amazon, a pris le contrôle d’une grande partie de l’économie de la vente au détail en ligne. Elle exploite ses monopoles d’une manière qui l’enrichit mais qui nuit à ses clients : à la fois les dizaines de millions de ménages américains qui achètent régulièrement sur la place de marché en ligne d’Amazon, et les centaines de milliers d’entreprises qui dépendent de la plateforme pour les atteindre », dénonce la plainte.
Deux tactiques pour étouffer la concurrence
La FTC s’est concentrée sur deux pratiques distinctes, qui constituent une violation de la loi antitrust. Tout d’abord, Amazon exercerait un contrôle sur les prix de ses concurrents en décourageant ses vendeurs tiers de proposer des réductions sur des sites rivaux. Elle ne proposerait sa boîte d’achat, c’est-à-dire l’onglet « Ajouter au panier » ou « Acheter cet article » se trouvant à droite de la page, que pour les produits qui ne sont pas disponibles à un prix inférieur sur une autre plateforme.
Ses robots parcourent le web pour s’assurer que les articles bénéficiant de cette boîte ne sont pas moins chers ailleurs. Si c’est le cas, elle la retire puis la remplace par un design simplifié et moins attrayant, assure l’agence antitrust. Cette méthode a pour effet d’augmenter les prix pour les consommateurs, continue-t-elle.
Amazon est également accusée de contraindre les vendeurs tiers à utiliser ses services de traitement et de livraison, Fulfillment by Amazon, s’ils veulent réussir sur la plateforme. La FTC explique qu’il s’agit d’une condition préalable pour qu’un produit soit éligible à une livraison rapide et gratuite pour les clients abonnés au programme Prime. Les produits qui bénéficient de ce service sont reconnaissables par un logo, et sont plus faciles à trouver sur le site d’Amazon.
Environ 170 millions d’Américains sont membres Prime, octroyant à Fulfillment by Amazon un pouvoir de marché considérable. L’agence antitrust affirme également que les vendeurs tiers se sentent contraints d’utiliser les autres offres d’Amazon, comme la publicité, pour réussir sur la plateforme. Entre la rémunération de son programme logistique, la publicité et d’autres services, « Amazon prend désormais un dollar pour 2 dollars que gagne un vendeur », argumente Lina Khan.
Des accusations similaires en Europe
Ce n’est pas la première fois qu’Amazon doit faire face à de telles accusations. En 2020, l’Union européenne (UE) lui reprochait déjà d’exploiter les données de ses vendeurs tiers pour mettre en avant ses propres offres et produits, en France et en Allemagne. L’enquête ciblait également les méthodes de sélection de l’entreprise pour attribuer sa fameuse boîte d’achat.
Afin d’éviter une lourde amende, Amazon a passé un accord avec la Commission européenne. Elle s’est engagée à ne plus exploiter les données non publiques des vendeurs tiers. Ces dernières sont désormais traitées équitablement pour la mise en évidence de la boîte d’achat. La société a par ailleurs accepté de modifier les conditions pour accéder à Prime, et mis en place un processus non discriminatoire.
Outre-Atlantique, la firme adopte une posture moins complaisante. Elle a déjà clamé son intention de contester la plainte de la FTC, avec laquelle elle est « fondamentalement en désaccord ». David Zapolsky, vice-président de la politique publique mondiale d’Amazon, dénonce des allégations « erronées ou trompeuses ». L’approche de l’agence « nuira aux consommateurs, aux entreprises indépendantes et bouleversera des doctrines anciennes et bien réfléchies », s’insurge-t-il.
Un immense défi attend la FTC
Quant à la FTC, elle affiche une intransigeance totale et n’hésite pas à mentionner des « mesures structurelles » dans le cas où l’entreprise serait reconnue coupable. Autrement dit, elle envisage sérieusement la cession d’un actif ou le démantèlement pur et dur d’Amazon.
La tâche s’annonce pénible pour l’agence. L’ancienne librairie en ligne fondée en 1994 détient aujourd’hui 82 % des parts de marché dans le secteur des livres électroniques aux États-Unis et surtout 38 % de l’ensemble du commerce de détail en ligne dans le pays. Amazon est le plus grand fournisseur cloud au monde et le troisième annonceur numérique en termes de revenus dans son pays d’origine.
Si la FTC fait preuve de plus d’agressivité à l’encontre des big tech depuis l’arrivée de Lina Khan, elle regrette un manque de moyen considérable pour mener à bien ses affaires. Elle doit répondre à un nombre toujours plus élevé de demandes de fusion, tout en affrontant des mastodontes de l’industrie technologique revendiquant des chiffres d’affaires de plusieurs milliards de dollars. Chaque année, ses demandes auprès du Congrès pour bénéficier de davantage d’aides restent sans réponse. L’agence a échoué à bloquer le rachat de Within par Meta, en plus d’essuyer un échec en tentant d’empêcher Microsoft de mettre la main sur Activision Blizzard. L’issue de la confrontation avec Amazon sera donc déterminante pour le bilan de la FTC sous l’administration Biden et la direction de Lina Khan.
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